Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le sanctuaire de la feinte Trini-thé
29 avril 2012

Tension.

En ce moment, je n'ai pas d'inspiration. J'essaye de régler des problèmes que j'ai laissé pourrir trop longtemps. Ça m'épuise, à vrai dire. Même si c'est thérapeutique.

Donc j'ai décidé de partager un extrait d'une nouvelle avec vous.

******* 

 

Tension.

 

La nuit avait été longue. Une interminable traînée de sang et de boue noire. Donovan traversa le hall d’entrée de l’immeuble en traînant des pieds et monta dans l’ascenseur. Au cinquième étage, les portes s’ouvrirent avec un « ping » qui lui fit grincer des dents. Il lui fallait un doliprane. Et vite. Même le cliquetis de la clef dans sa serrure lui était insupportable. Il se précipita dans la salle de bain à peine sa porte verrouillée, et avala deux cachets coup sur coup. Ça ne durerait pas longtemps, mais en attendant, il avait une sale gueule. Du moins c’était ce que son miroir au-dessus du lavabo lui affirmait. 

Il se déshabilla avec précautions, grimaçant à cause des plaies toutes fraîches qui couturaient son corps. Il défit dans la cabine de douche les bandages de fortune qui l’avaient à peu près empêchés de mettre du sang partout le long du trajet du retour. Ses vêtements étaient foutus, souillés comme ils l’étaient. Il faudrait qu’il s’en débarrasse. Il tourna le robinet et l’eau chaude martela sa peau, lui tirant des grognements de souffrance et de plaisir tandis qu’elle glissait sur lui, délassant ses muscles et irritant ses chairs à vif. La céramique blanche à ses pieds se tâcha de rouge, il ferma les yeux. Un voile liquide et brûlant couvrit son visage, s’insinuant dans sa bouche, ses narines, entre ses paupières, décollant ses cheveux figés dans du sang séché. Le sien et celui d’un autre. Il avait déjà oublié la tête qu’il avait celui-là. Ça n’était pas le premier, ça ne serait pas le dernier.

Il ne pouvait pas expliquer cet appétit pour la destruction. La chasse. Il en avait besoin, comme un vivant de respirer. Il avait besoin de poursuivre, de mordre, de déchirer. Est-ce qu'il était le seul de son genre ? Les Autres le haïssaient. Ils l'avaient enfanté et jeté. Il ne cadrait pas avec leur grandiloquence décadente, un morceau de charbon au milieu de diamants. Ils avaient espéré qu'il serait moins brut après sa renaissance. Qu'il garderait sa sauvagerie de gosse des rues, oui, mais une sauvagerie maîtrisée de fauve en laisse. Ça avait été l'inverse. Quelle déception.

Au fur et à mesure que son mal de crâne se dissipait et que l’eau se faisait de moins en moins rouge pour retrouver sa limpidité initiale, sa nausée s’atténuait elle aussi. C’était bon. Tout allait bien. Il avait fait ce qu’il y avait à faire. Ça n’était pas la peine d’y penser davantage. Sur l’étagère, entre son blaireau et sa brosse à dents, la radio égrenait les faits divers. Il écoutait d’une oreille distraite en se séchant les cheveux. Une fois de plus, on ne parlait pas de lui. Ça n’était pas le genre de choses que le grand public avait envie de savoir, si friand de petits détails graveleux et sanglants soit-il. Dommage. Les Autres savaient protéger leurs secrets et qu'ils le veuillent ou non, il en faisait partie.

Il y avait encore des bières au frigo, mais il faudrait qu’il fasse les courses. Il ne ferait pas illusion bien longtemps, avec une boîte de sardines, deux carottes blettes et une bouteille de ketchup. Canette décapsulée, il s’affala sur le canapé dans un grincement de ressorts. Derrière les rideaux épais, on devinait l’aube qui pointait… Donovan ferma les yeux et avala une gorgée d’alcool amer. Il allait s’accorder une petite sieste, il aviserait ensuite pour la bouffe et les vêtements.

Ce fut la sonnette qui le tira de son sommeil. Il souleva lentement une paupière et se tourna vers le radio-réveil posé sur la table basse. Putain, huit heure moins le quart… Il n’y avait pas moyen de dormir tranquille, même un tout petit peu ? Rajustant son peignoir, il jeta un coup d’œil par le judas. Morand, le propriétaire. Encore lui. Ses visites surprises, de plus en plus fréquentes, l’agaçaient. Il s’était pris d’affection pour lui, le petit jeune qui vivait tout seul. Le pauvre petit jeune qui ne recevait jamais la moindre visite de sa famille, à croire qu’ils étaient tous morts ! Sur ce point, il n’avait pas complètement tort… Mais Donovan n’avait pas besoin d’un père de substitution, et encore moins d’un fouineur qui faisait irruption chez lui à toute heure du jour. Maintenir les apparences était déjà bien assez difficile sans ça. Et c’est pourtant avec son air le plus engageant qu’il ouvrit la porte. Comme s’il était réellement surpris et content de voir l’autre tâche sur le pas de sa porte.

« Bonjour Dominique !
- Bonjour, Monsieur Morand…
- Appelle-moi Eric mon petit, je te l’ai déjà dit… Dis moi, tu es rentré bien tard ce soir, je t’ai entendu. »

Ce connard l’avait entendu monter à pas d’heure et il venait quand même le réveiller si tôt ? Il l’aurait bien étranglé avec sa cravate, là maintenant, tout de suite ! Et puis lui faire bouffer ses pompes bien cirées… L’idée était séduisante. Il se contenta de lui offrir un sourire contrit… 

« Désolé d’avoir fait du bruit… Eric. 
- Mais non, ça n’est rien, ça n’est rien… C’est juste qu’il y avait du sang dans l’ascenseur, tout va bien ?
- J’ai juste saigné du nez, pas d’inquiétude à avoir… Ça m’arrive souvent quand il fait orageux vous… enfin tu… sais.
- Je comprends, je comprends ! Je me posais des questions, voilà tout… Mais si ça n’était que ça je suis rassuré.
- Je suis touché que tu te soucies autant de moi… »

Tu parles. La prochaine fois qu’il changerait d’appartement, il ferait plus attention à la personnalité du type qui le lui louerait. Un ermite misanthrope, ça serait l’idéal. Là, il serait vraiment tranquille. Changer d’appartement… Il faudrait qu’il y réfléchisse un peu plus sérieusement, ça devenait vital. Morand le mettait sur les nerfs. Ça n’était qu’une question de mois avant qu’il ne craque et ne fasse découvrir à son propriétaire les joies du saut à l’élastique. Mais avec, en guise d’élastique, ses propres tripes.

« Mais non, penses-tu, c’est normal… »

Cet air faussement modeste teinté d’autosatisfaction lui donnait envie de gerber. Il venait vérifier si un de ses locataires allait bien et ça y’est, il était Jésus ? Il devrait peut-être le crucifier, histoire de parfaire la ressemblance ? 

« Tu dois être fatigué, je te laisse… Bonne journée, mon petit ! »

Sans blague ? Il avait trouvé ça tout seul ? C’est vrai que quand on se couche à cinq heure du matin et qu’on vous réveille à peine trois heures plus tard, on n’était pas souvent fatigué, c’était une réaction tellement étrange et exceptionnelle ! Son faux sourire tomba dès que les multiples verrous de sa porte furent remis en place. Un peu de tranquillité, enfin. Déplier son clic-clac maintenant… Au point où il en était, il pouvait bien prendre le temps de le faire. Et puis ses blessures s’étaient déjà presque entièrement résorbées.

Publicité
Commentaires
L
J'aime tout aussi :) Ta façon d'écrire me parle... J'aimerai en lire plus sur ce Donovan.
A
J'aime. Tout.
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité