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Le sanctuaire de la feinte Trini-thé
22 octobre 2011

Le Zodiaque est une pute.

Je suis désolée, c'est encore moi. J'aurais voulu que mon article de retour soit poétique comme celui de Panda, drôle comme les dessins de Mudinette. Ou encore hargneux, vous aimez mon fiel, non ? Mais ça ne sera pas le cas. Pas de vannes, pas de poésie, pas de dessin pour illustrer, pour aérer, pour adoucir. Pas de morceau de sucre pour aider la médecine à couler. Je suis juste épuisée. Si vous n'avez pas envie de partir en bad, tournez vos talons, je ne vous en voudrais pas. Revenez la semaine prochaine. Ça ira mieux, sûrement.

On se croit tous immortels. C'est con à dire, mais tous, on a beau faire semblant de le savoir, on est incapable de le comprendre. Même toi, le gogolgoth dans le fond, avec tes piercings et ta prose bancale. J'ai été comme toi, avant. Foutaises, tout ça, foutaises. On ne comprend pas. Et quand on ne comprend pas, on a peur. On se pisse littéralement dessus de trouille, on se roule dans la couette jusqu'à ressembler à un nem pas cuit. Et on espère très fort que tout ça n'est qu'un mauvais rêve, que tout est éternel et qu'on sera là pour en profiter pour toujours.

C'est la mort des autres qui nous renvoie dans la gueule notre propre mortalité. Ban, dans tes dents. Et puis ça n'arrive jamais quand on est préparé, on ne la sent pas venir. Elle pouvait rôder depuis des mois, des années, on ne l'a même pas flairée. Cette sale pute ne passe que quand elle a décidé qu'il était temps que vous payez l'addition de votre insouciance. Elle s'invite sans prévenir, c'est une pique-assiette. On est généralement sorti, avec des amis. On riait. On était bien. Et puis le téléphone sonne, on décroche. On parle de tout et de rien, surtout de rien. On a pas senti la fêlure dans la voix de notre interlocuteur, trop gorgé de son propre petit bonheur minable pour réaliser. Il vous demande si vous vous souvenez d'Yves. Oui vous vous souvenez bien, vous étiez allé chez lui enfant. Un ami de votre père, proche. Vous l'aimez beaucoup, il devient quoi déjà ?

Et puis le MOT tombe.

C'est un joli mot pourtant. Deux syllabes du même nombres de lettres, ça fait des boucles, ça dessine deux lunes, rappelle les étoiles, le zodiaque. Cancer. On ne comprend pas tout de suite. On ne sent rien. Rien du tout. Un grand vide sec. Tout ce qu'on arrive à dire c'est "merde". D'autres mots s'ajoutent. "Généralisé", "incurable", "à l'hôpital", mais ça ne veut rien dire, ça ne représente rien. Yves est en train de mourir. Et vous aussi. Plus lentement, c'est tout. Et puis :

"C'est Jeanne, sa fille qui m'a prévenu. Yves n'est pas encore au courant."

Alors la digue cède, et le vide laisse place à la douleur. Impression qu'on vous a ouvert la cage thoracique pour planter des agrafes dedans, crucifié sur vous-même. Yves n'est pas au courant. Vous, si. Vous qui n'avez qu'une importance insignifiante dans sa vie, vous qui n'étiez qu'un gosse de passage, vous savez. Et lui ne sait pas. Vous avez le poids de cette connaissance à porter. A l'hôpital. Incurable. Cancer. La digue lâche, et ça y'est, vous vous retrouvez à chialer comme un bébé, cachant votre visage derrière votre écharpe, incapable de répondre encore au téléphone qui répète votre nom.

Alors vos amis vous remarquent, s'agglutinent autour de vous, une marée humaine compacte, qui vous réchauffe, vous entoure, on ne sait pas trop où commence et où finit chacun, mais qu'importe. On pleure, on pleure, en tentant de s'arrêter, de ravaler le fou-rire hystérique qui monte, on chiale, encore et encore. Et puis on finit par ravaler sa morve, on s'essuie le visage, et on fait un grand sourire. The show must go on, non ? Pendant un temps, on se force à oublier, encore. Une heure, deux heures, la Mort redevient un mythe. Voyez, tout est trop vivant ici ! Trop chaud, trop bruyant, trop rapide pour que ça puisse jamais mourir.

Et puis on se sépare. On repart en rer chez soi, seul. Votre mp3 vous compose la bande son parfaite d'un film tragique. Sucrée, dynamique, monstrueusement anodine face à la réalité qu'on redécouvre à tâtons. Le rer s'arrête, on titube, abruti. Un couple détourne le regard. Avec vos yeux rouges et votre démarche hésitante, on doit vous croire drogué. On avance jusqu'à l'appartement. Sur le chemin, les larmes se remettent à couler. On essuie, ça ne sert à rien, la fuite ne veut pas être colmatée. On grimpe l'escalier, on ouvre la porte à l'aveuglette. On se dit qu'on sera forte. On va se faire un thé, ça nous calmera.

En fait non. On explose à gros bouillons, face appuyée contre le mur. Le rire hystérique revient, mouillé, on croirait un hoquet ou un aboiement. Et on chiale, on chiale. Les colocs vous entendent, vous entourent, vous interrogent, vous embrassent. Préparent votre thé, vous font asseoir. On parle de tout et de rien. Surtout de rien. Nos cuites. Nos histoires de cul. Des anecdotes. Des papiers administratifs à donner, du quotidien, du concret, du normal. Oublier à nouveau, car il faut oublier, il le faut. On ne peut pas continuer autrement.

On boit son thé, on mange des saloperies sucrées, et quand on retourne dans sa chambre, on réalise qu'on a un début d'otite, la migraine et une nouvelle poussée d'urticaire, la faute au stress. Mais on ne peut pas se coucher maintenant, non. On a un blog à mettre à jour. Alors on vide ses tripes en public, parce que le linge sale se lave en famille, oui, mais pas les suaires.

Yves n'est pas au courant. Moi si.

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Commentaires
D
Coucou Sugar ,<br /> <br /> je sais que ce billet date un peu et qu'il est un peu tard pour le réconfort ,mais tu m'as remué les tripes . On ne peux que se reconnaitre dans tes écris; Pleins de gros bisous
M
Que dire de plus... Pleins de câlins et tout mon soutien...
V
Courage aussi et câlinous...
W
Pas mieux... courage.
P
Juste un gros calin
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